6. Education et culture


Table des matières

Les écoles

En ce qui concerne l’éducation, le début du XVIIe siècle vit augmenter considérablement la proportion d’élèves d’origine serve. Cette nouvelle situation fut relevée déjà par les contemporains. Selon János Apáczai Csere, excellent professeur et grand spécialiste de l’enseignement qui vécut au milieu du siècle, les enfants d’origine serve risquaient de dépasser en nombre les enfants nobles. Il en donna même l’explication: ces enfants fuyaient la condition servile et la pauvreté. S’il en était ainsi, c’est qu’en Transylvanie, selon un vieux droit coutumier, confirmé par une loi de Bethlen, les serfs pouvaient faire des études et les seigneurs ne devaient pas les en empêcher. Si bien que les études y offraient un chemin, difficile mais accessible à tous, vers l’ascension sociale.

Les débuts étaient facilités par un réseau d’écoles relativement important qui, bien qu’inégalement réparti, couvrait pratiquement toutes les régions de Transylvanie. Leur nombre était le plus élevé chez les Saxons: en 1660, il y avait en Terre saxonne, pour 238 pasteurs, 224 maîtres d’école, ce qui veut dire que la presque totalité des communautés avait leur maître d’école. Dans les régions de langue hongroise, seuls les territoires sicules jouissaient d’un réseau d’écoles comparable. Les régions roumaines, par contre, accusaient un {f-332.} état arriéré: à part quelques monastères où un enseignement était probablement assuré, l’Eglise orthodoxe n’avait pas d’écoles. Voire même, certains de ses représentants s’opposaient carrément à l’organisation des écoles de langue maternelle. L’évêque Ilie, par exemple, en poste à partir de 1640, qui s’était engagé, pour obtenir son intronisation, à fonder une école de langue roumaine à Gyulafehérvár, n’honora finalement pas sa promesse. Si bien que seules les deux communautés roumaines réformées, à Lugos et à Karánsebes, avaient chacune leur école roumaine dans la première moitié du XVIIe siècle. Ce ne fut qu’en 1657 que Zsuzsanna Lórántffy en fonda une dans le domaine de Fogaras.

L’école en tant qu’institution connut, au cours du XVIIe siècle, deux modifications essentielles. Premièrement, on ouvrit des écoles pour jeunes filles, ce qui était un énorme progrès pour l’époque, car un groupe de la population tout à fait délaissé du point de vue culturel trouva ainsi la possibilité de s’instruire. Autre changement important: le système scolaire qui, jusqu’alors, prenait fin avec le lycée, fut coiffé d’une école supérieure. C’était en 1622, c’est-à-dire fort tard en comparaison des autres pays d’Europe, mais du moins cette Académie de Gyulafehérvár fut-elle ouverte et réussit à survivre, contrairement aux tentatives antérieures qui avaient avorté, telle l’Université jésuite de Kolozsvár, fondée par Etienne Báthori qui ne fonctionna que quelques années. L’Académie de Gyulafehérvár qui, au départ, avait une chaire de théologie, de philosophie et de droit, aurait dû se transformer, par la volonté de Bethlen, en une Université. Mais Georges Ier Rákóczi manqua d’achever l’śuvre. Néanmoins, un grand nombre d’étudiants y trouvèrent la possibilité de s’élever à la fois intellectuellement et socialement.

L’idée de la fondation d’une école supérieure surgit également parmi les Saxons et fut débattue en 1647 par leur congrégation de l’Eglise luthérienne puis, en 1653, par l’assemblée de la «nation». Peut-être, si la direction culturelle de la Principauté s’y était prêtée, il eût probablement été possible de fonder une école supérieure luthérienne saxonne dès le XVIIe siècle. Faute de quoi, les meilleurs élèves continuaient à achever leur formation à l’étranger. Parmi ceux-ci, les Saxons étaient majoritaires. Sur quelques 4 500 étudiants transylvains ayant poursuivi leurs études à l’étranger aux XVIe et XVIIe siècles et dont les noms nous sont connus, 55,5% étaient originaires des cinq plus grandes villes saxonnes. Les autres venaient de 56 localités différentes.

La fréquentation des universités étrangères était devenue chose habituelle dans toute la Hongrie. Cela était sans doute dû à l’absence d’une université locale. Mais il y avait aussi le désir d’accéder à une plus vaste culture et même les guerres ne pouvaient empêcher les esprits avides de connaissances d’aller dans les universités étrangères. Ceci à un moment où le pays, divisé en trois parties et privé d’universités, risquait de voir cesser tous ses liens culturels avec le reste de l’Europe. Et pourtant, en 1670, on comptait 340 étudiants transylvains dans les universités lointaines.

En ce qui concerne le choix des universités, on peut observer un changement depuis le début du XVIIe siècle. Sous les Princes réformés, donc depuis le règne d’Etienne Bocskai, les universités catholiques étaient délaissées par les Transylvains. Ce fut seulement à partir du milieu du siècle qu l’on reprit le chemin de Padoue où l’on excellait dans l’enseignement des sciences médicales. Les dévastations de la guerre de Trente ans en Allemagne orientèrent les Transylvains vers les universités d’Angleterre et des Pays-Bas. La Transylvanie tira, en quelque sorte, un certain profit du grand désastre de l’Europe, car ses étudiants arrivaient aux Pays-Bas et en Angleterre à une époque où ces {f-333.} pays étaient en pleine effervescence intellectuelle. En exagérant un peu les choses, on dirait même que la révolution scientifique d’Angleterre avait, au Gresham College de Londres, un combattant transylvain en la personne de János Bánffyhunyadi, chimiste reconnu qui enseigna jusqu’en 1646 dans ce qui était un des foyers de la science dans l’Angleterre de l’époque.

Un fait encore plus singulier: le système d’idées fort complexes, qu’on a l’habitude de désigner par le terme simplificateur de «puritanisme», fut importé dans son intégralité, ou presque, par quelques personnalités éminentes, qui professaient un rapport nouveau entre l’individu et l’Eglise, mais embrassaient aussi la cause de l’instruction publique ou enseignaient les nouvelles thèses de métaphysique formulées par Descartes. Les plus connus d’entre eux furent Pál Medgyesi, János Tolnai Dali et János Apáczai Csere, soit les premiers à s’appuyer, dans leur activité, essentiellement sur le puritanisme dans la Transylvanie du XVIIe siècle. Avec une extrême simplification, on peut dire que Medgyesi se consacrait aux problèmes de l’Eglise, Tolnai Dali principalement aux écoles, tandis que Apáczai Csere s’employait au renouveau de la vie scientifique. Dans leur sillage ou associés à eux, d’autres personnalités moins importantes déployaient une activité similaire aussi en dehors de la Transylvanie, surtout dans l’Est du Royaume de Hongrie. Les idées puritaines furent reprises et développées plus tard par bon nombre de disciples qui devaient eux aussi subir de nouvelles influences venues de l’étranger.

Ce qui est étonnant, c’est que le puritanisme qui était né comme une réponse aux problèmes des sociétés les plus modernes et les plus organisées de l’Europe contemporaine, pût s’attacher un certain nombre de Transylvains. Il ne s’agit pas là d’un cas isolé; tant avant qu’après, les courants d’idées les plus avancés de l’Europe ont toujours atteint la Hongrie, donc aussi la Transylvanie. Certes, les modalités de leur réception ou leur refus variaient d’un cas à l’autre. Quant au puritanisme, il suscita des réactions extrêmes et sut même diviser la famille princière: la princesse Zsuzsanna Lórántffy et son fils cadet, Zsigmond, prenaient son parti, tandis que les deux Georges, père et fils, le persécutaient. Des milieux plus vastes de la société en furent aussi perturbés, car tant dans les écoles que dans les communautés des fidèles, deux positions également intolérantes se confrontèrent sans cesse.

Les tenants du puritanisme, qui semblaient ignorer qu’ils ne vivaient plus en Angleterre ou en Hollande, désiraient mettre aussitôt leurs idées en pratique; leurs adversaires et rivaux spirituels opposaient un refus net à toute initiative puritaine. Pourtant, une position plus souple, plus modérée, de part et d’autre, aurait pu faire l’économie de bien des conflits.

Les intellectuels

En ce milieu du XVIIe siècle, les puritains constituaient l’élite des intellectuels sans en constituer cependant la majorité. Néanmoins, leur attitude était significative: ils retournaient au pays et y déployaient leur activité. On peut dire en général que seul un tout petit fragment des universitaires n’était pas revenu environ 2,4% des personnes connues, dans un intervalle de deux cents ans.

Bien qu’ils eussent la possibilité de rester, la majorité d’entre eux préféraient rentrer dans leur pays en refusant éventuellement des postes importants. Ils savaient pourtant pertinemment ce qui les attendait: des plus grands centres de la science, ils se reléguaient soudain dans de petits villages aux conditions précaires. Ils jouèrent un rôle prépondérant dans le renouvellement {f-334.} de l’enseignement; leur destin personnel témoignait du grand tournant que les études pouvaient signifier dans la vie d’un homme.

De tous ceux qui étaient revenus, ce fut probablement le groupe intellectuel de Kolozsvár qui se montra le plus original, car l’enseignement y était souvent dispensé par des médecins. Comme les unitariens n’avaient d’université de théologie qu’en Pologne, ils s’inscrivaient surtout à des facultés de médecine en Occident. Cependant, à leur retour ils devenaient souvent enseignants tout en exerçant la médecine. Ils enseignaient fréquemment dans les écoles unitariennes de Kolozsvár où on invitait également des professeurs polonais.

Parmi les professeurs étrangers appelés en Transylvanie au cours du XVIIe siècle, les plus renommés se trouvaient à Gyulafehérvár. Il faut citer en premier lieu Martin Opitz, un des meilleurs poètes allemands de son époque, qui s’y installa puis, déçu, retourna dans sa patrie d’origine. En 1629, dans la dernière année du règne de Bethlen, trois professeurs de l’Université d’Herborn, qui avait été dissoute, s’installèrent dans cette ville. Parmi eux, citons Johannes Alsted, encyclopédiste de grand renom, ainsi que Johannes Bisterfeld, qui était plutôt diplomate; les deux restèrent dans cette ville jusqu’à la fin de leurs jours.

A côté de ces étrangers, il faut citer le nom de Pál Kereszturi, professeur dont la personnalité fit grande impression à Gyulafehérvár. Plusieurs générations se rappelèrent ses enseignements. Il fut l’un des premiers à supprimer les distances qui séparaient le professeur de ses étudiants. Il ne se contentait pas d’interroger ses élèves sur la matière, mais il s’intéressait aussi au processus de cognition.

Pendant les années 1640, ce fut le collège de Várad qui devint le foyer scientifique le plus considérable de toute la Principauté. Dans son activité, il faut relever surtout les réformes de Mihály Kecskeméti. A Várad, les enseignants utilisaient les manuels de Comenius, de Ramus et d’Amesius, c’est là qu’on organisa, pour la première fois dans une école protestante, des représentations théâtrales; une série d’excellents professeurs y furent attirés. Le plus important d’entre eux était probablement György Martonfalvi, qui avait fait ses études aux universités des Pays-Bas. Il envisageait d’organiser l’enseignement des sciences naturelles mais, peu de temps après son arrivée en 1660, en raison du siège de Várad par les Turcs, le collège dut se réfugier à Debrecen.

Ces excellents professeurs qui, dans leur majorité, faisaient partie de l’intelligentsia ecclésiastique, contribuèrent considérablement à ce que cette couche sociale gagnât en importance au cours du XVIIe siècle. Ils étaient, certes, soutenus dans leur tâche par Gabriel Bethlen.

Pourtant, Bethlen contribua, de l’extérieur aussi, à ce processus en établissant un rapport privilégié avec l’un des éléments de l’intelligentsia ecclésiastique: les prédicateurs réformés. On ne saurait supposer, derrière ce geste, une quelconque prédisposition confessionnelle car Bethlen, d’une remarquable objectivité en tous domaines, l’était aussi en matière de religion. Sous son règne nul ne souffrit de discrimination à cause de sa foi; toutes les Eglises bénéficiaient de la tolérance égale du Prince.

C’était donc sans faire entorse à l’égalité des confessions qu’il se tourna vers les prédicateurs calvinistes. Tout simplement, Bethlen, comme d’autres monarques absolutistes de son époque, opta pour une religion régnante. Mais là aussi, il procéda de la même manière que pour son pouvoir: il n’opprima pas les autres, seulement entoura d’une estime particulière ses coreligionnaires. Bien qu’il n’admît pas d’ecclésiastiques au conseil princier, les dignitaires de l’Eglise réformée devinrent avec lui partie de l’élite dirigeante.

{f-335.} Le poids social de la couche de l’intelligentsia ecclésiastique s’accrut ainsi à tel point que même ses éléments les plus éloignés de l’Eglise dominante, les prêtres roumains, en étaient affectés. En son temps, Gabriel Báthori avait supprimé leur statut de serf. Sous le règne de Bethlen et de ses successeurs, leur prestige s’accrut considérablement par rapport aux autres couches de la société roumaine. Leur nombre augmenta également pendant la première moitié du XVIIe siècle. Par exemple, dans le domaine de Fogaras, en 1632, 29 prêtres roumains vivaient dans 33 villages; en 1640, toujours sur ce même domaine, leur nombre avait doublé.

Seuls les Saxons semblent avoir esquissé une évolution contraire. Chez eux, l’assemblée de la «nation» imposait son contrôle aux gens de l’Eglise. Au milieu du siècle, les autorités civiles décidaient déjà pratiquement de tout, depuis les prêches à prononcer à l’église jusqu’à l’habillement de la famille des pasteurs. Cela était probablement en partie dû au fait que les Saxons restaient en dehors des visées de la politique religieuse des Princes, ce qui eut pour conséquence que leurs notables civils assuraient tout naturellement le patronat de l’Eglise. La haute culture de l’intelligentsia laïque saxonne y était également pour beaucoup. Ainsi, le juge-maître de Brassó, Michael Weiss, avait fait ses études dans des universités d’une plus grande réputation que tous ses pairs dans l’Eglise. Il ne leur devait donc pas de considérations particulières.

Le cas de Michael Weiss peut montrer en outre combien il est difficile de définir la catégorie d’intellectuel au XVIIe siècle. Car le diplôme et la fréquentation des universités ne sont pas, à eux seuls, des critères suffisants. Et la fonction ne détermine pas non plus la place d’une personne dans la société. Un autre bourgmestre, Tamás Borsos, de Marosvásárhely, en est un bon exemple. Pendant de longues années, il exerça des activités de diplomate mais, dans le même temps, il était toujours préoccupé par la gestion de ses domaines. En fin de compte, la majorité des détenteurs des plus hauts postes intellectuels siculiers, si on se fonde sur leur situation sociale, n’étaient finalement pas des intellectuels.

Ainsi, ce n’est qu’à partir de ses activités qu’il est possible de déterminer le cercle de l’intelligentsia laïque. Au cours du XVIIe siècle, son nombre connut une forte augmentation. Avec l’établissement des relations étrangères de la Principauté, de plus en plus d’intellectuels entrèrent dans la diplomatie. Il est vrai que Constantinople était la seule ville à recevoir une ambassade permanente de Transylvanie mais les représentants de la Principauté se retrouvaient aussi dans les autres cours importantes avec, parmi eux, des grands seigneurs ou des commis du courrier. La majorité provenaient pourtant de la petite noblesse et de l’intelligentsia citadine. Le cercle des fonctionnaires de l’administration d’Etat dut également s’élargir quelque peu, même si la structure de l’organisme d’Etat ne se modifia pas au XVIIe siècle. Par contre, la demande en intellectuels augmenta fortement dans les administrations locales, les comitats, les sièges sicules et les villes.

La couche inférieure des intellectuels laïcs travaillait dans les villages, bourgades ou sur les domaines et tirait profit de son savoir-faire acquis généralement en peu d’années scolaires. Parmi eux, les clercs qui servaient comme intendants dans les riches familles. Les régisseurs de domaine appartenant généralement à la petite noblesse ne peuvent être rangés qu’avec prudence dans cette catégorie car, même s’ils n’avaient que peu d’études derrière eux, ils possédaient une vaste expérience pratique et, dans leur majorité, ils avaient également leur propre exploitation, ce qui équilibrait leurs connaissances théoriques et pratiques.

{f-336.} Culture spirituelle

Après la situation catastrophique des premières années du XVIIe siècle, la vie spirituelle fut, en Transylvanie, la première à renaître de ses cendres. Le premier livre paru après la guerre fut édité à Kolozsvár en 1610. C’était un poème d’éducation morale en hongrois, puis une poétique en latin sortit de l’imprimerie de Szeben en 1611. La rapide régénération ne put cependant pas assurer la continuité, car l’esprit de discussion humaniste et réformateur de la fin du siècle précédent avait disparu pour céder la place au néo-stoïcisme qui se désintéressait des tempêtes de l’existence et cherchait le bonheur dans la réflexion.

La situation générale de la Transylvanie peut bien expliquer ce changement de mentalité. Les événements du début du siècle avaient prouvé que le pays continuait à être pris dans l’étau de deux grandes puissances et qu’il était impossible de modifier sa destinée. Quant aux Eglises, après de nombreuses et vaines discussions, elles avaient renoncé aux attaques mutuelles; désormais, elles se repliaient sur elles-mêmes.

Sur le sol de cette spiritualité régénérée, on vit se développer une culture laïque particulière. Ceci se reflète dans les chiffres des publications parues avant 1630. Sur les 18 publications parues en langue hongroise entre 1611 et 1630, dix n’étaient pas théologiques. Par contre, 62,5% des écrits parus entre 1631 et 1650 traitent de théologie ou sont des textes religieux. Ces données, cependant, n’offrent qu’un aspect statistique de la réalité. Car même les travaux religieux pouvaient avoir un contenu profane, et notamment scientifique. En effet, dans les prédications, on parlait souvent de maladies et, dans les préfaces aux travaux théologiques, des secrets de la nature. Dans les écrits religieux, on retrouve aussi bien des textes concernant les sciences occultes que les sciences naturelles nouvelles. De fait, bien que l’intelligentsia la plus qualifiée ne s’activât pas dans le domaine de la science, elle transmettait souvent sa culture profane à ses fidèles du haut de la chaire de l’église.

La culture transylvaine qui se développa au cours du XVIIe siècle se caractérisait, outre une laïcité incorporée à la vie religieuse, par un nombre accru de publications. Et ces publications laïques étaient elles-mêmes porteuses d’un contenu nouveau.

Les livres dont le nombre allait sans cesse augmentant furent pour la plupart édités par l’imprimerie princière de Gyulafehérvár. Cet atelier avait été fondé par Gabriel Bethlen, puis agrandi au cours des années 1630. Georges Ier Rákóczi fit venir pour l’imprimerie des caractères cyrilliques de Valachie, ce qui permit à celle-ci d’exécuter de nombreuses publications de langue roumaine à partir de 1639. La maison d’édition fondée à Várad, en 1640, par Ábrahám Szenci Kertész joua un rôle prépondérant dans la diffusion de la culture de langue hongroise. Ses activités n’étant pas influencées par des considérations idéologiques, elle édita l’unique livre jésuite transylvain de cette époque. Ce fut également elle qui publia les travaux de Comenius, ainsi que les canons de l’Eglise réformée. De 1640 jusqu’à la chute de Várad, survenue en 1660, 113 ouvrages furent publiés dont 70 en langue hongroise.

Le nombre de livres augmentait et leur contenu changeait: les événements du passé historique en étaient disparus et furent remplacés par les faits et gestes des princes contemporains, en premier lieu par les succès militaires de Georges Ier Rákóczi. On peut considérer comme nouveautés les travaux directement scientifiques, surtout linguistiques, comme les dictionnaires; on édita aussi un traité sur la traduction: la Petite grammaire d’István Geleji.

{f-337.} Le grand intérêt pour la linguistique s’empara même de la famille princière. Georges II Rákóczi, alors qu’il n’était encore qu’héritier du trône, participa avec son frère Zsigmond, aux côtés de János Erdõbényei, à l’élaboration d’un dictionnaire. Le nombre des travaux linguistiques ne reflète que partiellement le grand intérêt porté, dans les années 1640, aux questions linguistiques. C’est à cette époque que fut lancée la première vague de modernisation de la langue hongroise et, bien que les discussions se fussent déroulées sur l’ensemble du territoire de la Hongrie, le centre en était incontestablement la Transylvanie. Deux partis luttaient l’un contre l’autre: les étymologistes et les partisans de la grammaire phonétique. Le premier groupe avait pour chef de file l’évêque István Geleji Katona, l’autre, Pál Medgyesi, prédicateur de la cour de Georges Ier Rákóczi. Plus tard, vers la fin du siècle, un imprimeur, qui avait fait ses études aux Pays-Bas, Miklós Misztótfalusi Kis, fit fusionner les deux courants.

A la même époque, le problème de la langue maternelle commença à préoccuper aussi les Roumains de Transylvanie. Mais, pour eux, la situation était autrement plus grave, comme le formulait l’évêque roumain de Gyulafehérvár, Ştefan Simion: il a été impossible de faire une traduction de la Bible intelligible pour tous les Roumains, puisqu’ils parlaient différemment. Sans doute, ne pensait-il pas aux seuls Roumains de Transylvanie, mais faisait allusion aux parlers différents des Roumains vivant dans divers pays. Ces différences auraient pu être surmontées par l’Eglise orthodoxe en place à la fois dans les voïvodats et dans la Principauté de Transylvanie si elle n’avait pas opté pour l’usage du slavon, afin de maintenir l’unité de l’orthodoxie orientale. A cette époque, en effet, elle ne jugeait pas encore nécessaire d’entrer en lice en faveur de la langue maternelle.

La Transylvanie vit donc, au début des années 1580, un arrêt brusque de l’usage du roumain à l’église, usage qui avait pris un élan si prometteur au XVIe siècle. Après quoi, cette langue demeurait confinée dans le milieu des Roumains de confession réformée. De fait, le premier Nouveau Testament intégral en roumain fut édité par l’imprimerie princière de Gyulafehérvár en 1648 pour les calvinistes roumains. Cette traduction, d’une importance inappréciable pour la langue littéraire roumaine, était due à l’effort de Ştefan Simion et d’un prêtre nommé Silvestru.

Cette corrélation entre l’expression roumaine et le calvinisme transylvain eut des conséquences toutes particulières. D’une part, il s’en suivit un rapport conflictuel entre le clergé roumain et la culture de langue maternelle, certains intellectuels tenant fermement à l’orthodoxie; d’autre part, le même clivage s’établit entre les civilisations en langue maternelle des voïvodats et de la Transylvanie. En effet, dans les voïvodats, la diffusion imprimée en langue roumaine prit son essor justement au milieu du XVIIe siècle et, comme cette culture restait fort attachée à l’orthodoxie, elle devait son épanouissement en grande partie à la polémique avec la culture ecclésiastique transylvaine.

Les Saxons, eux, ne rencontraient aucune difficulté quant à l’usage de leur langue nationale. Notamment parce qu’ils n’avaient jamais cessé de recevoir les produits de la culture allemande, devenue de plus en plus unie depuis la Réforme. Néanmoins, ils gardèrent un certain particularisme voulu: les textes allemands littéraires considérés comme classiques étaient lus dans les écoles selon les dialectes saxons. Les préoccupations linguistiques se traduisaient chez eux par un effort pour découvrir les origines locales de leur langue. Ils se livraient à des spéculations étymologiques fondées sur les légendes de continuité Gètes-Goths-Saxons datant du XVIe siècle.

{f-338.} Cette période d’histoire de la culture débutant dans les années 1630-1640 se caractérisait aussi, outre le grand intérêt porté à la linguistique, par l’attention particulière consacrée à l’histoire et aux sciences médicales. Un livre de mathématiques fut édité en hongrois, mais ce n’était qu’un simple feuillet aidant seulement à faire des calculs élementaires. Cependant, cette historiographie et cette science médicale se contentaient de satisfaire des besoins quotidiens. L’historiographie se distinguait dans la recherche des causes de la catastrophe de l’expédition polonaise de 1657, tandis que la science médicale cherchait les causes des grandes épidémies qui déferlaient de par le pays.

Ouverture spirituelle

Pour l’intelligentsia, le fait de vivre dans le quotidien était tout naturel dans la Transylvanie du XVIIe siècle. Personne n’avait plus la possibilité et ni même l’envie de se livrer à la réflexion ou aux expériences scientifiques, à partir d’une position de tour d’ivoire. Le contact direct entre les intellectuels ecclésiastiques hautement qualifiés et les fidèles s’avéra très fructueux. Mais comme, dans les conditions qui étaient celles de la Transylvanie, il n’y avait pas de possibilités réelles de mener une activité scientifique créatrice, la religion demeurait au centre de l’intérêt intellectuel. Les discussions qui pouvaient être considérées comme scientifiques avaient trait, avant tout, aux problèmes de la religion. Les nouvelles idées scientifiques du XVIIe siècle, notamment les pensées de Descartes, furent, par exemple, traduites et interprétées en Hongrie par le docteur en théologie János Apáczai Csere. Cependant, son śuvre, Encyclopédie hongroise, d’une importance décisive pour le développement de la science et de la langue scientifique hongroises, parut à Utrecht, en 1655.

On peut donc déceler, dans les activités de l’intelligentsia, une ouverture d’esprit qui se dissimulait derrière l’intérêt porté à la religion. Il est plus difficile de déterminer le cercle des adeptes. Nous savons cependant pertinemment que les idées qui, à un moment donné, avaient préoccupé les plus grands esprits de l’époque, dépassaient largement les milieux intellectuels. Fait singulier: cette préoccupation se retrouvait aussi dans une communauté religieuse qui, au XVIIe siècle, ne comptait guère d’intellectuels de formation. Il s’agit des sabbatariens. Une version particulière du stoïcisme, le sabbatarisme, était apparu au XVIe siècle sous forme de religion et, au XVIIe siècle, il dépassa le milieu restreint des personnes de rang élevé de l’Eglise ou de l’Etat. A partir de cette époque, il se répandit aussi parmi les gens non cultivés et de rang social inférieur. Il est difficile de déterminer son expansion, étant donné que les persécutions de 1638 firent disparaître une grande partie des documents. Mais c’est justement le renouvellement permanent et la rigueur des lois dirigées contre les sabbatariens qui prouve la solidité avec laquelle cette religion était enracinée dans l’univers spirituel des paysans transylvains et surtout sicules.

Dans la résistance de cette secte face à toute répression, il y avait sans doute un élément de fierté humaine éveillée par la violence et la répression exercées contre eux par la société officielle. D’autre part, sa portée était accrue du fait que le sabbatarisme comblait un important vide culturel dû au délaissement de l’enseignement par les Eglises officielles qui avaient peu à peu abandonné leur fonction éducative. En effet, quand leur structure et leur situation {f-339.} s’étaient stabilisées, elles s’étaient détournées des plus démunis. Une fois que l’appartenance des villages à telle ou telle religion fut fixée et que toute nouvelle conversion eut exigé le bouleversement des conditions en place, les Eglises cessèrent leur activité éducative parmi le peuple. Ce ne fut pas un hasard si le calvinisme, qui était devenu la religion dominante, n’exerçait plus son activité éducative qu’auprès des Roumains. Et si elle put en tirer un succès incontestable, il n’en reste pas moins qu’elle laissa insatisfaits les besoins spirituels de ses anciennes ouailles.

Le sabbatarisme, par contre, en tant que religion nouvelle désireuse de convertir, fit sa place à l’éducation du peuple ainsi qu’ à l’information sur les affaires de tous les jours dans les églises. Il prit position sur toutes les questions qui préoccupaient les fidèles. Dans les assemblées sabbatariennes, les cantiques apportaient en toute simplicité aux auditeurs et chanteurs les messages de la religion.

Ces cantiques sont exempts de l’aspect sombre qui caractérise la littérature des autres religions toujours imprégnée du sentiment de culpabilité et de châtiment. L’homme ne parvient pas à observer les lois, ni la volonté de Dieu – enseignent-ils – mais, par la grâce divine, il peut obtenir son salut. On pouvait même en avoir la certitude car, selon la pensée des chants sabbatariens, le salut des croyants était un fait indéniable. C’était donc en connaissance de cause qu’ils proclamaient la quiétude de «l’âme sereine» et qu’ils parlaient des plaisirs du corps rattachés au sabbat. Un de leurs chants va jusqu’à affirmer que les fêtes doivent être observées pour fournir aux hommes l’occasion de se reposer.

Cette philosophie humaniste n’ignorait pas la hiérarchie civile et s’y retrouvait fort bien. Mais elle livrait également au peuple la grande découverte des stoïciens, à savoir la vanité de la carrière civile. On retrouve, dans de nombreux manuscrits de livres de chants, une strophe qui a, par ailleurs, une origine anabaptiste, et selon laquelle il faut accepter le monde tel que Dieu l’a créé, car l’aspiration à la noblesse n’apporte que tristesse et souffrance.

Les sabbatariens n’étaient cependant pas des excentriques se désintéressant des affaires du monde, mais se penchaient sur les secrets de la nature et professaient avec le tranquille panthéisme des poètes, la sécurité d’existence dans ce monde. Ils enseignaient les lois concrètes de la nature que même les brusques colères imprévisibles de Dieu ne pouvait perturber. Le pouvoir de la loi cachée dans les phénomènes de la nature était propagé par les sabbatariens qui adoptaient dans le même temps la vision ptoléméienne du monde. Dieu «a pendu la Terre au milieu» – trouvons-nous dans l’un de leurs cantiques. Mieux encore: on y affirme sur un ton polémique que c’est en raison de son imperfection que l’homme ne voit pas les «cieux» tourner autour de la Terre. Tout cela en contradiction avec la vision héliocentrique de Copernic, mais qui demeurait, il est vrai, contestée par plus d’un génie du XVIIe siècle.

Pour ceux qui avaient des difficultés à se cultiver, les questions étaient en elles-mêmes plus importantes que les réponses, car elles pouvaient éveiller leur intérêt pour les connaissances. Il en allait sûrement ainsi chez les sabbatariens: on retrouve dans les livres de chants toute une série de strophes écrites à la main qui traitent des lois de la nature et qui argumentent sur les questions relatives à la nouvelle vision du monde. On en déduira que l’effort des intellectuels pour divulguer les sciences modernes fut suivi de l’attention intense d’une partie de la société.