Table des matières

La «révolution des reines-marguerites»

La victoire de la révolution socialiste russe d’octobre 1917 modifia radicalement la situation politique de la partie orientale de l’Europe centrale. Tant qu’il existait une Russie forte, l’Empire des Habsbourg avait la mission historique d’en contenir la poussée. Mais, après la chute de l’Empire du Tsar et vu l’épuisement de l’Allemagne par la guerre, cette mission perdit sa raison d’être. L’avenir de l’Empire à 50 millions d’hommes posait un problème à résoudre.

La proclamation, publiée le 2 novembre par le Soviet des Commissaires du peuple de Russie, appela les peuples de la Monarchie à constituer l’union des peuples libres et l’unité des prolétaires de toutes les nations, dessinant ainsi la perspective d’un bloc révolutionnaire uni. Cependant, la bourgeoisie, s’alignant sur la position de Wilson concernant le nationalisme et l’autodétermination des nations, souhaitait découper l’ancien Empire en plusieurs parties et cherchait à empêcher la formation de l’unité prolétarienne à cette échelle.

L’Entente eut de la peine à se mettre d’accord sur le destin de la Monarchie. Les politiciens français inclinaient à démanteler entièrement l’Empire des Habsbourg tandis que les Anglais et les Américains souhaitaient, dans un premier temps du moins, le sauvegarder. Au printemps de 1918, en raison de la paix séparée de Bucarest, l’Entente semblait considérer comme nul le traité secret roumain de 1916. Cependant, vers l’automne, les premiers ministres anglais et français promirent au «conseil de l’unité roumaine» de Paris d’appuyer l’union de tous les Roumains. Par contre, dans sa réponse donnée le 18 octobre à la proposition de paix de la Monarchie, Wilson jugea important de satisfaire les exigences des Tchèques et des Slaves du sud mais il ne mentionna pas les Roumains.

Dès le début de l’automne, la vie politique fut très animée. Au Reichsrat de Vienne, les Roumains de Bukovine et, à Budapest, les hommes politiques roumains de Transylvanie exigeaient un Etat autonome à l’intérieur de l’Empire. A la suite de sa réunion du 12 octobre, le Comité national roumain tint les propos suivants devant la presse: «… on déclarera que les Roumains de Hongrie n’ont pas d’aspirations à la sécession … ils demandent seulement le droit à l’autodétermination des Roumains en vertu des 14 points wilsonniens».*Aradi Hírlap, 12 octobre 1918; Gazera Poporului, 27 octobre 1918. Au parlement, Vaida-Voevod revendiquait pour les Roumains une «liberté nationale intégrale».

{f-606.} La majorité des hommes politiques hongrois de Transylvanie s’attachaient à maintenir l’unité de l’Etat, et étaient seulement disposés à faire des concessions dans les domaines de la langue et de l’administration (nomination d’un ministre roumain). «Il ne saurait être question de céder des comitats [à la Roumanie] et il ne saurait être question non plus de transformer la Hongrie en un ensemble de régions autonomes.»*OSzK Dép. Manuscrits, Actes Apáthy, Quart. Hung. 2955.

Le 18 octobre, Károlyi et Jászi, représentant une sorte de gouvernement parallèle, négocièrent pour la première fois avec les délégués du comité roumain. Károlyi prit position en faveur d’un plébiscite qui déciderait du sort de la Transylvanie. Le comité voulait avant tout obtenir des garanties que le futur gouvernement de Károlyi consentirait à la convocation d’un grand rassemblement national roumain. Au congrès social-démocrate tenu le 13 octobre à Budapest, le délégué roumain déclarait: «Dans notre propre intérêt, nous appuyons la lutte menée pour le démocratisation de la Hongrie car, si nous obtenons dans ce pays les droits qui nous reviennent, nous ne pourrons plus les perdre, même dans l’hypothèse où nous serions rattachés à un autre pays.»*Adevĕrul, 20 octobre 1918. Dans le même temps, les délégués roumains formulaient une sérieuse réserve à l’encontre du parti national roumain.

L’appel du 26 octobre du Conseil National Hongrois, constitué par la convention des Partis Indépendantiste, Radical et Social-Démocrate, déclara, sur la question nationale, qu’en vertu des principes wilsoniens, l’autodétermination devrait sans délai être accordée aux minorités nationales (e dans l’espoir que ces facteurs … assureront un fondement plus solide à l’intégrité territoriale de la Hongrie»*A magyar munkásmozgalom történetének válogatott dokumentumai (Documents choisis de l’histoire du mouvement ouvrier hongrois) V. 7 nov. 1917–21 mars 1919. Publ. par Mme SÁNDOR GÁBOR, Budapest, 1956, 267. ). Au sein du Conseil National Hongrois, un Comité de Transylvanie fut constitué. Il élit comme président István Apàthy, recteur de renommée européenne de l’Université de Kolozsvár, qui, en raison de son nationalisme, était très mal vu par les intellectuels roumains.

Parallèlement à l’épanouissement de la révolution d’octobre de la capitale, les sociaux-démocrates roumains établirent des rapports, à l’instar de leurs homologues hongrois, avec le parti national roumain. A leur demande expresse, se constitua à Budapest, le 31 octobre, le Conseil National Roumain. En tout cas, le parti national stipula que seuls soient délégués au Conseil des sociaux-démocrates qui v n’empêcheraient pas la prise de décisions», c’est-àdire qui ne s’opposeraient pas au courant national.

Pendant la révolution démocratique bourgeoise, il y eut des agitations en Transylvanie également; les 30 et 31 octobre, des manifestations se déroulèrent à Kolozsvár. Les prisonniers politiques furent libérés et la censure suspendue.

Le gouvernement de Károlyi, porté au pouvoir par la révolution, libéra immédiatement les prisonniers politiques, autorisa la parution des journaux interdits, débloqua la fortune des condamnés, rouvrit toutes les écoles roumaines, consulta les nationalités avant la nomination des nouveaux comes, compléta l’amnistie politique d’une amnistie militaire et organisa des śuvres de secours dans tous les comitats de Transylvanie.

A Temesvár, puis dans la vallée du Zsil, s’établirent des pouvoirs indépendants d’ouvriers et de soldats; des actions révolutionnaires se déroulèrent dans {f-607.} les comitats de Szeben, de Bihar et de Szilágy. Les premiers jours du mois de novembre, les unités militaires encore existantes furent dissoutes sous l’effet des mouvements des ouvriers et des soldats, et l’armée, moyen de coercition le plus efficace, cessa de ce fait d’exister. En plusieurs endroits, notamment à Kolozsvár et à Arad, le Parti Social-Démocrate employa des ouvriers organisés pour le maintien de l’ordre.

C’étaient avant tout la révolution de Budapest et les actions ouvrières de la province qui avaient déclenché les mouvements des villages pleins de tension sociale, et la force principale de ces mouvements était constituée par les milliers de soldats fatigués mais d’esprit révolutionnaire qui, les premiers jours du mois de novembre, étaient massivement rentrés des fronts. Le 6 novembre, le comes du comitat de Krassó-Szörény rapportait: «Une foule déchaînée qui, au départ, n’était constituée que de soldats, a petit à petit gagné à sa cause le peuple des villages. Puis, elle s’est tournée contre tous ceux en qui, en raison de leur bien-être, elle voyait son ennemi … On ne pourrait affirmer que cette action ait été un tant soit peu dirigée contre une nation particulière car il y a eu des pillages jusque dans des villages purement roumains.»*OL Nemzetiségi Ügyek Minisztériuma (Ministère des Affaires des Minorités Nationales), 1918, vol. IX, 27.

Nombre de grandes propriétés et de fermes d’Etat furent attaquées; les ameublements de certains châteaux fracassés et les récoltes distribuées.

«Dans tous les districts du comitat de Kolozs, à très peu d’exception près, se sont produits des actes de négation de la propriété, de bolchévisme et de distribution des terres ou visant celle-ci» – écrivait-on dans un rapport officiel.*Ibid. 839.

C’était dans les régions plus développées, notamment dans les comitats d’Arad, de Temes, de Krassó-Szörény, et aussi dans les comitats de Bihar et de Kolozs que la lutte de la paysannerie était la plus acharnée. Mais ce mouvement était cependant dépourvu de caractère national. On rencontre assez fréquemment dans les rapports des phrases telles que: «on a chassé d’ici des prêtres et des notaires roumains tout comme on en a chassé dans la Plaine purement hongroise», ou, «en plusieurs endroits, les Roumains et les Hongrois ont pillé ensemble».*Erdély története (L’histoire de la Transylvanie) II. Publ. par MIRON CONSTANTINESCU, Bukarest, 1964, 425; Aradi Hírlap, 2-5 novembre 1918. Les paysans roumains n’épargnèrent même pas les biens de «leurs propres chefs de file». Ils attaquèrent la propriété de 3 000 acres du vieux président du parti roumain, Gheorghe Pop, celle des Mocsonyi ainsi que les fermes de l’évêché uniate de Nagyvárad. Le politicien et propriétaire foncier Mihali, voulant défendre sa vie ou plutôt ses biens, fit tirer sur les paysans roumains à Nagyilonda.

L’Etat s’avéra impuissant face aux mouvements populaires. La gendarmerie, dont les effectifs étaient faibles, fut contrainte de se replier dans les centres urbains afin de sauvegarder au moins la vie de la troupe. Face à ces difficultés, le gouvernement demanda l’aide des conseils nationaux. En Transylvanie, dès le début de la révolution, une proclamation commune hungaroroumano-saxonne fut lancée, invitant les peuples de Transylvanie «à chercher mutuellement les contacts les uns avec les autres afin de protéger la sécurité personnelle et matérielle». Le 2 novembre, à la suite des négociations du ministre Oszkár Jászi et d’Aurel Vlad, d’Ioan Erdélyi et de Rudolf Schuller, {f-608.} représentants des peuples non hongrois de la Transylvanie, le ministre de l’Education ordonna la liquidation de la «zone culturelle». Jászi ajouta encore ceci: «Nous avons commencé par discuter les moyens de maintenir l’ordre et le calme en Transylvanie. Sur cette question nous étions parfaitement d’accord.»*Aradi Hírlap, 3 novembre 1918.

A l’instigation du gouvernement et des autorités locales, des conseils furent constitués là où le mouvement populaire ne les avait pas créés. Qu’ils fussent conservateurs ou radicaux, les conseils nationaux s’efforçaient également de canaliser les revendications sociales par des slogans nationaux. Les conseils nationaux roumains et le gouvernement hongrois craignaient également pour leur bonne réputation et leur influence face à une épreuve de force éventuelle entre les nations.

La bourgeoisie hongroise était mécontente de la faiblesse du pouvoir central et exigeait que «s’il le faut, le gouvernement ne se refuse pas à proclamer la loi martiale. Cette mesure, s’il l’utilise contre les malfaiteurs qui menacent la sécurité matérielle, n’est pas en contradiction avec la libération sociale».*Aradi Hírlap, 5 novembre 1918. Les excès et les répressions ont fait nombre de victimes. L’ancienne historiographie a fait état des deux cas les plus connus à des fins de dénonciation nationaliste. Le 6 novembre, les paysans roumains forcèrent quelques magasins fermés à Facsőd et même la salve de la gendarmerie ne put les disperser. Un avion arriva alors d’Arad et déversa des bombes sur la foule. Il y aurait eu 104 morts. Des prisonniers de guerre italiens et des paysans roumains mirent à sac une scierie et un château à Jósikafalva. Quelques jours plus tard, un détachement privé, recruté par le frère du propriétaire, exécuta une vingtaine de paysans et brûla leurs cadavres. Le 12 novembre, la commission mixte envoyée par les conseils nationaux roumain et hongrois de Kolozsvár trouva le détachement toujours en action et ne tarda pas à le condamner.

La mise en place du système de domination de la bourgeoisie roumaine

La révolution et les mouvements de masse brisèrent l’ancien régime et neutralisèrent ou mirent en fuite la plupart de ceux qui, des dizaines d’années durant, avaient bloqué la voie vers le pouvoir devant le Parti National Roumain qui pouvait tenter désormais de prendre en main le pouvoir politique.

Le gouvernement de Károlyi traitait en effet la bourgeoisie roumaine de façon démocratique: certes, il n’aurait guère pu agir autrement. Budapest «a non seulement permis aux Roumains d’organiser des conseils nationaux et des gardes civiles, mais les y a même encouragés puisque le gouvernement considérait ceux-ci comme des organes, quoique autonomes, de l’Etat»*Les négociations de paix hongroises I. (Budapest, 1920), 384. et il fit verser à ces gardes des sommes considérables. Les gardes nationales roumaines contribuèrent à rétablir l’ordre, et, vers la mi-novembre, elles étaient incontestablement les forces les plus efficaces du maintien de la sécurité.

Au début, les autorités hongroises et les conseils roumains avaient entretenu des rapports cordiaux. Le mouvement républicain en expansion et la radicalisation de la société hongroise accélérèrent, semble-t-il, le processus d’émancipation de la bourgeoisie roumaine. «En ce qui nous concerne, nous Roumains, {f-609.} nous devons la considérer (la révolution – Z. Sz.) comme une catastrophe. Nous devons par tous les moyens possibles nous efforcer de conférer un caractère national à cette révolution» écrivait leur organe, en soulignant que (de Conseil National Roumain n’est pas l’enfant d’une seule révolution». «… Que personne n’attende de nous que nous suivions l’exemple des Budapestois, c’est-à-dire que nous devenions républicains, révolutionnaires et ennemis de la dynastie; nous ne l’avons pas été jusqu’ici et nous n’avons aucune raison de l’être dans l’avenir» … «Nous nous séparons d’eux … et nous allons suivre notre chemin … en nous préservant du sort des Budapestois, car nous ne souhaitons pas être conduits là où nous ne voulons pas aller, arriver là où nous ne voulions pas arriver.»*Românul, 7 décembre 1918, 12 novembre 1918; Drapelul, 19 novembre 1918. Voir encore VASILE LIVEANU, 1918. Din istoria luptelor revoluţionare din Romînia (De l’histoire des luttes révolutionnaires en Roumanie), Bucureşti, 1960, 507, 510, 547-548.

Le Conseil National Roumain qui, entre-temps, s’était transféré à Arad, tenta d’organiser une force armée indépendante. Le Conseil central des soldats et officiers siégeait à Vienne; Maniu y forma aussi, avec une centaine d’officiers, le conseil militaire roumain de Vienne qui s’appuyait sur un régiment d’infanterie (de nationalité roumaine) de 5 000 hommes tout en ayant également des soldats à Wiener-Neustadt. Cette action avait pour but de renvoyer en Transylvanie les soldats roumains de l’armée austro-hongroise qui refluaient des fronts. De cette manière le Conseil Roumain aurait possédé une immense force armée constituée de 50 000 hommes environ, ce qui aurait considérablement augmenté le poids d’Arad vis-à-vis de Budapest, voire même vis-à-vis de Bucarest. Un certain nombre de soldats étaient en effet arrivés en Transylvanie, mais vu l’incertitude qui planait sur le sort du Banat, le commandement serbe avait jugé bon de démobiliser la «Légion Roumaine de Prague» fort bien équipée, qui rentrait de Bohême par un chemin de détour et passait pas là. L’espoir d’une armée roumaine de Transylvanie s’était évanoui.

Bientôt, après la révolution hongroise, le 5 novembre, on divulgue le message de Lansing qui fait savoir que le président américain «sympathise avec l’idée de l’unité nationale des Roumains actuellement dispersés. Les EtatsUnis ne manqueront pas d’exercer, en temps opportun, leur influence afin que le peuple roumain puisse satisfaire ses justes prétentions politiques et territoriales.»*BENEDEK JANCSÓ, A román irredentista mozgalmak története, op. cit., 123. Ainsi, toutes les puissances victorieuses avaient assuré de leur soutien les revendications territoriales de la Roumanie, ce qui signifiait que l’union de la Transylvanie avec la Roumanie se ferait au besoin par la force. Le 9 novembre, même Berlin fit savoir au gouvernement roumain qu’a il traiterait avec bienveillance les aspirations roumaines en Transylvanie», si la Roumanie n’inquiétait pas l’armée de Mackensen en train de quitter le pays.

Les nouvelles conditions mirent les hommes politiques roumains de Transylvanie en action. Ils cherchaient à consolider leur position pour pouvoir garder et augmenter leur autonomie dans toute situation nouvelle. Le 9 novembre, sous prétexte de maintenir la sécurité matérielle et publique ainsi que le droit à l’autodétermination nationale, le Conseil National Roumain d’Arad adressa un «ultimatum» au «gouvernement du Conseil National Hongrois» en l’invitant à céder la souveraineté sur la Hongrie orientale. Le territoire demandé comprenait, outre la Transylvanie historique, les comitats de Torontàl, de Temes, de Krassó-Szörény, d’Arad, de Bihar, de Szilágy, de {f-610.} Szatmár, de Máramaros, «ainsi que les régions roumaines de Csanád, de Békés et d’Ugocsa».*Lettre du Conseil National Roumain: OL Nemzetiségi Ügyek Minisztériuma 1918, vol. IX, 240. Le conseil roumain voulait prendre le pouvoir en vertu de la continuité juridique, et demandait au gouvernement hongrois de soumettre toutes les institutions et autorités à sa dépendance et d’adresser une proclamation en ce sens aux habitants du pays.

Le gouvernement hongrois délibéra sur le mémorandum en conseil des ministres élargi.

Même les nationalistes, tels Apáthy et le comte István Bethlen, consentirent à accepter la proposition de Jászi, ministre des Nationalités, qui voulait résoudre le problème de la Transylvanie par la voie de négociations avec les Roumains et par la création d’une confédération cantonale à la Suisse. L’opinion publique hongroise espérait beaucoup du voyage de Jászi à Arad; pourtant, les journaux transylvains avançaient, dès le 9 novembre, qu’une partie de la Transylvanie serait évacuée. Si ces négociations peuvent aboutir, «nous pourrons empêcher le rattachement de la Transylvanie à la Roumanie, sauvegarder notre intégrité territoriale contre les Tchèques et jeter les bases d’un Etat fédératif», affirmaient les milieux gouvernementaux dans un élan d’optimisme officiel.*Magyarország, 12 novembre 1918.

La délégation gouvernementale arriva le 13 novembre à Arad avec quelques membres de la Commission de Transylvanie ainsi que des délégués des conseils nationaux saxons et souabes de Transylvanie. Jászi déclara aux journalistes: «Si les Roumains souhaitent sérieusement la paix, nous prendrons une position telle qu’ils ne pourront s’y dérober.»*JÁNOS KOMÁROMI, Jászi Aradon (Jászi à Arad), Új Magyar Szemle, 1920, n° 1, 27-35.

En raison de la protestation des Roumains, les représentants des conseils transylvains non roumains ne purent participer aux négociations qu’à titre d’observateurs bien que (selon les calculs de Jászi), sur les 6,8 millions d’habitants du territoire revendiqué, seuls quelque 2,9 millions fussent de nationalité roumaine. Cette revendication éliminatoire indiquait que les dirigeants roumains interprétaient de façon exclusive le droit à l’autodétermination.

Jászi exposa à Arad le projet d’un nouveau pays démocratique où l’on pourrait vivre ensemble. Il offrit le droit à l’autodétermination et le plein pouvoir gouvernemental pour toutes les régions où les Roumains vivaient en masses compactes ou en majorité absolue. Ils auraient pu se représenter aux négociations de paix également. Son projet rognait considérablement les revendications territoriales des Roumains. II traçait la frontière occidentale du territoire à céder suivant la ligne d’Orsova–Élesd–Zilah–Visóvölgy et, outre cela, il voulait créer un système d’îlots compliqué, conformément à la situation ethnique de la Transylvanie. (Ainsi, la Terre sicule et la région de Kolozsvár seraient devenues des îlots hongrois et l’autonomie hongroise aurait été accordée à Petrozsény, à Vajdahunyad, à Resica et à Lugos tandis qu’on aurait constitué trois îlots roumains sur le territoire hongrois.) Jászi proposa encore qu’une commission internationale contrôlât sur place la justesse des données ethniques de l’Office Hongrois de Statistiques. Il promit aux Roumains un poste de ministre au gouvernement et émit le souhait de créer des organismes communs pour l’administration des affaires communes. Entendant tout cela, les dirigeants roumains soupçonnèrent non sans raison que {f-611.} Jászi voulait présenter des faits accomplis aux négociations de paix. Alors qu’eux cherchaient une autre solution.

Le lendemain, arriva la nouvelle de la convention d’armistice, signée par Károlyi et Franchet d’Esperey, le 13 novembre, à Belgrade, qui laissait l’administration de toute la Hongrie dans la sphère de compétence du gouvernement, quoique les troupes de l’Entente pussent avancer jusqu’à la rivière Maros. Cette nouvelle encouragea la délégation hongroise mais ne changea pas la marche des négociations. Les délégués roumains donnèrent une réponse négative à la proposition des Hongrois en déclarant que les «solutions provisoires» ne fournissaient aucune garantie pour le maintien de l’ordre public et de la sécurité personnelle et matérielle sur le territoire revendiqué. Après des marchandages réitérés et inutiles, Jászi posa la question: En fait, que veulent les Roumains? – La sécession totale, répondit Maniu.

Les négociations se terminèrent donc sans résultat. Le gouvernement de Károlyi souhaitait sincèrement la résolution démocratique du problème des minorités. Il aurait voulu maintenir l’intégrité du territoire sur des bases toutes neuves, fédératives. Il ne put cependant consentir à la sécession des régions entières du pays.

Les dirigeants roumains remirent la solution définitive à l’armée de l’Etat roumain et aux négociations de paix. Ils omirent de proclamer unilatéralement la prise du pouvoir, car elle «susciterait une immense confusion auprès des peuples de Hongrie et cette confusion serait susceptible de bouleverser complètement un ordre qui reposait sur une base instable».*Aradi Hírlap, 15 novembre 1918. Néanmoins, la prise du pouvoir commençait à se réaliser.

Le rassemblement roumain de Gyulafehérvár

Pendant les négociations d’Arad, Maniu fit parvenir un mémorandum à Paris dans lequel il demandait, contrairement à la convention d’armistice de Belgrade, l’autorisation, pour l’armée roumaine, de progresser au-delà du Maros. Il demandait également au gouvernement roumain d’intervenir, tout en persuadant le roi Ferdinand que ses troupes trouveraient en Transylvanie une quantité suffisante de vivres, de vêtements et de chaussures et qu’elles ne rencontreraient pas de résistance. Ainsi l’intervention militaire fut décidée.

Dans une proclamation adressée le 20 novembre «aux peuples du monde», le Conseil National Roumain affirma sa volonté de vivre en Etat séparé et que «son gouvernement s’oppose à la force brutale de l’Etat oppressif avec les aspirations qui reviennent de droit à la nation roumaine». Conformément aux intentions du gouvernement roumain, le Conseil National publia, dans une nouvelle proclamation, un appel à un rassemblement national et publia également, à l’occasion de l’entrée de ses troupes en Transylvanie, la proclamation du chef d’état-major royal roumain. Le comité national somma, le 24 novembre, dans une circulaire confidentielle, les conseils des communes de «proclamer le rattachement sans conditions au royaume roumain, sous le règne de la dynastie actuelle».*Voir la circulaire polycopiée publiée au nom de l’ancien comité national: OL Nemzetiségi Ügyek Minisztériuma, 1918, vol. X, 242. Un modèle de la déclaration leur fut également envoyé, déclaration dont on demanda plusieurs exemplaires car la diplomatie roumaine en avait elle aussi besoin. «De cette manière, le plébiscite pourra {f-612.} probablement être évité», résumait la circulaire définissant le but de l’action.*Voir encore LAJOS NAGY, A kisebbségek alkotmányjogi helyzete Romániában (La situation des minorités en Roumanie au point de vue du droit constitutionnel), Kolozsvár, 1944, 18-19. Le gouvernement hongrois ne s’opposa pas à la convocation du rassemblement national roumain, il ordonna même aux Chemins de fer d’Etat de prévoir des trains spéciaux pour les Roumains qui désiraient se rendre à Gyulafehérvár.

Ce rassemblement fut source de bien des soucis pour les sociaux-démocrates roumains. La position de l’aile gauche était sans équivoque: «Nous nous unirons à la Roumanie mais nous devons faire dépendre cette union de certaines conditions. Elle devra être progressiste et chasser les tyrans. Il faut que le peuple roumain, libéré comme nous le sommes à présent, nous donne la main et que nous formions un grand pays libre et démocratique. Nous n’avons plus besoin des boyards ni du symbole de leur pouvoir (du roi).»*Adevĕrul, 24 novembre 1918; TIRON ALBANI, Douăzeci de ani de la Unire (20 ans après l’Union), Oradea, 1938, 206. Même les socialistes de droite déclarèrent que «l’assemblée nationale devrait solennellement proclamer qu’elle maintiendrait l’autonomie de la Transylvanie libre tant que l’état actuel ne changera en Roumanie».*Adevĕrul, 1er décembre 1918. On aboutit finalement à un compromis: l’aile droite des socialistes renonça à l’agitation républicaine et le parti national accepta l’idée de l’union progressive et garantit la mise en place des réformes démocratiques. D’importants hommes politiques bourgeois se montraient eux aussi favorables à une Transylvanie autonome au sein de la Roumanie.

Le 30 novembre, un comité plus restreint mais accordant les différentes aspirations, rédigea un nouveau projet de résolution qui ne parla plus de l’institution du royaume mais établit des principes démocratiques, tels que le suffrage universel et secret, la liberté de presse, de parole et de réunion ainsi que la réforme agraire et l’extension des droits politiques des ouvriers. Le point 3 de la résolution traitait des «minorités nationales» et prônait «une entière liberté nationale pour les peuples cohabitants. Chaque peuple a droit à sa propre éducation et à sa propre administration en sa langue maternelle et par des personnes choisies de ses rangs».*Le texte entier de la résolution: ION CLOPOŢEL, Revoluţia din 1918 şi unirea Ardealului cu România (La révolution de 1918 et l’union de la transylvanie avec la Roumanie), Cluj, 1926, 61 et L. NAGY, op. cit., 208-211. Cette formulation indiquait que les dirigeants roumains avait tiré la leçon de leurs exigences minoritaires antérieures et promirent aux Hongrois et aux Saxons de Transylvanie des droits plus étendus que ceux dont ils avaient eux-mêmes joui dans l’Etat dualiste.

Le 1er décembre 1918, les 1 228 délégués de la réunion de Gyulafehérvár consentirent à l’union sous cette réserve que «nos institutions spécifiques demandent le maintien d’une autonomie provisoire, ce qui ne change rien au principe de l’union sans conditions».*ALBANI, op. cit., 236. La réunion élit un Grand Conseil National constitué de 200 membres dont 30 sociaux-démocrates (à côté des évêques et d’éminents intellectuels, devenus automatiquement membres du conseil, ainsi que de riches bourgeois élus).

Le grand rassemblement eut lieu sur le glacis de la forteresse où l’on fit connaître la résolution à un grand nombre de paysans ainsi qu’à des ouvriers en nombre plus réduit. L’assemblée – cent mille hommes selon la tradition {f-613.} roumaine – accueillit avec dévotion et enthousiasme la proclamation de la résolution. Le caractère progressif des principes était prometteur.

Le a décembre, le Grand Conseil National désigna les membres du Conseil Dirigeant (Consiliul Dirigent), dont deux socialistes, et envoya un télégramme d’hommages ainsi qu’une délégation à Bucarest afin de remettre solennellement la résolution qui proclamait l’union. Le 24 décembre, Bucarest inséra dans la loi que «les territoires mentionnés dans la résolution de la réunion tenue le 1er décembre 1918 à Gyulafehérvár s’unissaient à titre définitif au Royaume roumain»,*Décret-loi n° 3631 de 1918. Monitorul Oficial, 13 décembre 1918. ne laissant que l’administration locale aux mains du Conseil Dirigeant. Trois membres du Conseil reçurent des postes au gouvernement de Bucarest.

Dans le camp des progressistes roumains, une rupture importante eut lieu en raison de la forme sous laquelle se réalisait l’unité roumaine. L’aile gauche de la bourgeoisie restera (pendant quelques années) extasiée de voir s’accomplir son rêve inespéré, la Grande-Roumanie. L’aile droite des sociaux-démocrates, elle, attendait qu’avec l’appui de l’union nationale, le mouvement ouvrier s’intégrât dans la vie politique roumaine. Par contre, l’aile gauche des socialistes se scindant petit à petit en centristes et communistes, désapprouvait d’emblée la coopération étroite entre la droite et les nationalistes. Les socialistes de gauche constituèrent «la fraction internationaliste des socialistes roumains», et menèrent une importante action de propagande en premier lieu sur les confins de la Plaine hongroise et parmi les ouvriers roumains des alentours de Budapest. Ils convoquèrent, pour le 31 décembre, à Budapest, le congrès «des socialistes internationalistes roumains d’Autriche, de Hongrie et de Transylvanie» qui «éleva sa voix contre la résolution proclamée à Gyulafehérvár sur le rattachement au Royaume roumain».*Glasul Poporului, 2 février 1919. Le congrès revendiqua le droit de tous les Roumains de Hongrie, de Transylvanie et du Banat de pouvoir constituer un Etat indépendant sur la base d’un plébiscite ouvert à toutes les nationalités. Ce courant prolongeait la tradition internationaliste que les Roumains avaient adopté lors de leur collaboration avec les Hongrois prisonniers en Russie, au printemps de 1918, pendant les premiers mois du pouvoir soviétique. Minoritaires, les sociaux-démocrates roumains de droite organisèrent, en janvier 1919, à Szeben, un contre-congrès et en exclurent les participants au congrès de Budapest de l’aile gauche, notamment les représentants des ouvriers des grandes usines. Le congrès des sociaux-démocrates de droite déclara la constitution du parti social-démocrate de Transylvanie et du Banat.

La majorité du prolétariat syndiqué de la Transylvanie au sens élargi était constituée de Hongrois et d’Allemands. Ceux-ci considéraient que leur tâche historique consistait non pas à s’unir à la Roumanie mais à former une société démocratique et socialement progressiste.

La fin de la domination hongroise en Transylvanie

Pour les Hongrois de Transylvanie, il semblait impossible d’accepter le fait que l’Etat millénaire allait disparaître dans quelques semaines et ils ne pouvaient se résigner au sort minoritaire dans le cadre d’un pays moins développé {f-614.} du point de vue économique et social. La bourgeoisie fut en proie à une impuissance léthargique qui passa par endroits à un affolement désespéré. Outre les conseils nationaux hongrois, un Conseil National Sicule se forma, à la fin du mois de novembre, d’abord à Marosvásárhely, puis à Kolozsvár qui insista, étant donné l’avenir incertain, soit sur le maintien de l’intégrité, soit sur le droit à l’autodétermination des Hongrois. Le gouvernement hésitait lui-même entre son programme maximum selon lequel, admettant l’autodétermination des nationalités, la Hongrie formerait un Etat fédératif, et son programme minimum selon lequel la sécession ne pouvait être empêchée et les droits des Hongrois minoritaires devaient être assurés par une voie pacifique. Il ne considérait pas la résolution de Gyulafehérvár comme valide et établit une force militaire transylvaine dont le noyau était le Détachement Sicule, mis sur pied à Kolozsvár. Quoique ses forces fussent suffisantes pour arrêter provisoirement l’armée roumaine sur la ligne de démarcation, le gouvernement hongrois ne prit pas les risques de l’affrontement jugeant que celui-ci pouvait susciter des complications internationales imprévisibles. De plus, il était impossible de connaître les véritables desseins de Paris car les militaires français, qui se comportaient comme en pays conquis à Belgrade et à Bucarest, et les officiers de la mission de l’Entente à Budapest provoquèrent plus d’une fois le désarroi par leurs mesures et déclarations contradictoires. Le général Henri Berthelot, commandant de l’armée française du Danube, autorisa dès le début de décembre les troupes roumaines à traverser le Maros et à occuper 8 villes, ce dont le gouvernement hongrois ne fut pas informé pendant longtemps.

Le 8 décembre, le gouvernement hongrois nomma «haut-commissaire de la Hongrie de l’Est» le professeur Apàthy qui dirigeait à la tête d’une commission à caractère gouvernemental installée à Kolozsvár, les affaires d’une région allant diminuant. Dans le même temps, le Conseil Dirigeant roumain, qui se considérait comme le gouvernement provisoire de la Transylvanie, entra en fonction à Szeben.

Les conseils hongrois de Transylvanie considéraient le principe de l’autodétermination comme valable aussi pour les Hongrois, ce qu’ils voulurent exposer à une grande réunion, le 22 décembre, à Kolozsvár. Le général Moşoiu, commandant des troupes roumaines entrées en Transylvanie, protesta contre le meeting envisagé en menaçant de le disperser avec ses canons. Près de 40 000 hommes se réunirent pourtant sous des drapeaux nationaux et rouges sur la grande place de Kolozsvár. Les représentants des socialistes roumains et des Souabes du Banat y assistaient également car eux, tout comme les Saxons, voulaient pour le moment rester dans le cadre de l’Etat hongrois. Le projet de résolution exposé par les socialistes hongrois et admis par les participants déclara qu’en vertu du droit à l’autodétermination, «nous désirons vivre dans une communauté d’Etat avec la République populaire de Hongrie. Nous revendiquons, dans les cadres d’une Hongrie intégrale et intacte, la pleine égalité des droits, la liberté et l’autonomie pour toutes les nationalités vivant dans le pays».*Voir son texte dans IMRE MIKÓ, Huszonkét év (Vingt-deux ans), Budapest, 1941, 12. Le lendemain, les troupes royales roumaines entrèrent à Kolozsvár.

Le haut-commissariat, afin de garder l’apparence de la continuité légale, resta en place même après que les soldats hongrois eurent quitté Kolozsvár. Le commandement roumain déclara l’état de siège, introduisit l’internement {f-615.} politique, la censure, la bastonnade et suspendit le fonctionnement des organisations à caractère politique ainsi que la liberté de réunion et de déplacement. Il commença à persécuter les hommes de gauche, dans certaines régions par des moyens très durs. Plus tard, le commandement roumain fit arrêter jusqu’au haut-commissaire, le professeur Apáthy, en l’accusant de propagande bolchéviste.

Après l’occupation de Kolozsvár, les troupes roumaines continuèrent à avancer lentement en se référant à leur triple tâche: réaliser des objectifs nationaux, exécuter les instructions de l’Entente et lutter contre le bolchévisme. Le 22 janvier, elles atteignirent la ligne de Máramarossziget–Csucsa–Zám. L’armée du roi Ferdinand occupait désormais l’ensemble de la Transylvanie historique.

Les premiers jours de la débâcle de la Monarchie, les représentants de la bourgeoisie saxonne et souabe imaginèrent leur avenir dans l’Etat hongrois. Voyant l’apparition des contours du grand Etat roumain, ils étaient contraints de se plier aux réalités nouvelles. Après le rassemblement roumain de Gyulafehérvár, ils revendiquèrent le droit à l’autodétermination et à l’autonomie des régions saxonnes, c’est-à-dire de 212 communes (Municipium Sachsenland). Conformément aux vues de Jászi, ils voulaient faire de la Transylvanie un ensemble de régions nationales autonomes.

A la demande de Bucarest et de certains milieux français, le Conseil Dirigeant roumain cherchait à s’entendre avec les intellectuels saxons. La réunion du Conseil National Saxon, résigné à la nouvelle situation politique, déclara, le 8 janvier 1919, à Medgyes, que le peuple saxon de Transylvanie, espérant la garantie de son avenir national, prenait position pour l’union de la Transylvanie et de la Roumanie. Les Saxons transmirent leur résolution à Maniu, président du Conseil Dirigeant, qui les assura «de défendre et de respecter les droits nationaux du laborieux peuple saxon».*Desăvîrşirea unificării statului national român. (L’achèvement de l’Union de l’Etat national roumain), Red. MIRON CONSTANTINESCU–ŞTEFAN PASCU, Bucureşti, 1968, 446-447.

Dans le Banat, les ouvriers allemands et hongrois avaient l’intention ferme de constituer une république locale à l’intérieur de la Hongrie et refusaient le rattachement à la Roumanie. L’autonomie du Banat fut proclamée le 2 décembre à Temesvár sous la conduite du socialiste Otto Roth. En accord avec le conseil national allemand, le gouvernement de Károlyi élabora un système d’autonomie territoriale pour le Banat, représenté par Johann Junker au gouvernement de Budapest. Ce fut l’entrée des troupes serbes dans Temesvár qui mit fin à cette tentative.

Dès la mi-décembre, une nouvelle vague de mouvements sociaux se produisit en Transylvanie et cela dans le dos des troupes d’occupation. Les habitants des villages roumains furent saisis de la crainte que le partage promis des terres puisse ne pas avoir lieu. Les conseils des mineurs de la vallée du Zsil voulaient créer une république ouvrière. Les rebondissements du mouvement des mineurs provoquèrent ici et là des fusillades avec l’armée roumaine. Ralliés aux mineurs, les cheminots, pour la plupart hongrois, déclenchèrent, le 23 janvier, une grève générale et les postiers, les imprimeurs, les fonctionnaires et, par endroits, les ouvriers des usines cessèrent le travail.

Les restes de l’ancien appareil d’Etat ainsi que les nouveaux conseils nationaux à caractère essentiellement bourgeois n’étaient pas respectés par le prolétariat qui ne craignait d’ailleurs pas l’armée roumaine non plus. Cette {f-616.} nouvelle conduite désorienta la bourgeoisie. Les bourgeois hongrois considéraient les ouvriers socialistes tantôt comme les derniers combattants du maintien de l’intégrité du pays, tantôt comme les traîtres cyniques des intérêts nationaux, tandis que les services spéciaux de l’armée roumaine les prenaient pour l’incarnation à la fois du bolchévisme et du nationalisme hongrois, en faisant abstraction totale du fait que le parti communiste avait été le seul à rompre complètement avec le principe traditionnel hongrois de l’intégrité.

Parallèlement à l’essor révolutionnaire, les nouveaux organes de l’Etat roumain commençaient à s’établir. L’armée roumaine avait entrepris, au mois de janvier, de démobiliser les gardes nationales et avant tout les gardes ouvrières. Le Conseil Dirigeant roumain refusa la proposition de l’intelligentsia hongroise de Kolozsvár, selon laquelle l’administration devait rester hongroise dans les régions hongroises, et roumaine sur les territoires habités par des Roumains.

Le Conseil Dirigeant ordonna, le 24 janvier, de rétablir et de maintenir les anciennes lois et autorités (hongroises) mais suspendit l’autonomie des comitats et des communes. Il nomma des préfets (prefect) roumains à la tête des comitats et ceux-ci demandèrent aux anciens fontionnaires et employés d’Etat de prêter serment au roi Ferdinand alors que, selon le droit international, la Transylvanie appartenait encore à la Hongrie. Les conseils nationaux roumains furent également dissous et, paradoxalement, ils ne survécurent que dans la partie contrôlée par les forces militaires hongroises.

Comme l’Entente n’avait observé aucun accord précédent et que les troupes roumaines continuaient à avancer, le gouvernement hongrois envisageait de tenter une résistance armée. Le 2 mars, Károlyi déclara: «Si, contrairement aux principes wilsoniens, au droit à l’autodétermination des peuples et à la paix conventionnelle, la conférence de paix de Paris optait pour le partage de la Hongrie, dans ce cas, nous libérerons le pays par les armes.»*MIHÁLY KÁROLYI, Az új Magyarországért (Pour la nouvelle Hongrie). Válogatott írások és beszédek (Ecrits et discours choisis) 1908-1919. Publ. par GYÖRGY LITVÁN, Budapest, 1968, 294.

Le 26 février, la conférence de paix de Paris prit la décision, sous la pression des Roumains, de déplacer la ligne de démarcation hungaro-roumaine. Elle décida de céder les régions de Szatmárnémeti, de Nagyvárad et d’Arad aux troupes roumaines et, à l’ouest de celles-ci, elle voulait établir une zone neutre, y compris Debrecen et Szeged, où l’administration hongroise aurait fonctionné sous surveillance française. C’était ainsi que la politique française voulait assurer les arrières de la force militaire roumaine qu’elle envisageait de lancer contre la Russie soviétique. Elle voulait, dans le même temps, contrôler la ligne ferroviaire de Temesvár-Szatmár-Csap à laquelle elle attribuait une certaine importance pour le ravitaillement de la Pologne en provisions de guerre.

Le gouvernement hongrois ne pouvait pas accepter la note du colonel Vix contenant les conditions de l’Entente qui lui avait été remise le 20 mars. La conférence de paix ne lui savait pas gré de sa coopérativité avec l’Entente et la possibilité d’un traité de paix acceptable s’étant évanouie, le gouvernement de Károlyi démissionna. La coalition de la bourgeoisie démocratique pro-Entente avec les sociaux-démocrates modérés avait conduit à un échec politique et moral.

{f-617.} L’alternative socialiste: la république des Conseils

Le 21 mars 1919, la république des Conseils fut proclamée à Budapest. On vit donc se constituer, après la Russie, le second Etat prolétarien du monde qui fit entrevoir un tournant historique aux nations du bassin du Danube. Les sociaux-démocrates de gauche et les communistes ayant fait leurs premières armes pendant la révolution russe fusionnèrent au sein du Parti Socialiste. Son chef de file, en même temps président du Conseil Révolutionnaire, était Béla Kun, commissaire aux Affaires étrangères, qui avait fait son apprentissage politique dans le mouvement ouvrier de Kolozsvár.

La république des Conseils instaura une nouvelle ligne en politique étrangère et en politique des nationalités. Elle ne se fondait plus sur l’intégrité territoriale – elle se désolidarisa clairement de la politique nationale du régime démocratique de Károlyi – mais elle se refusait également à céder sans conditions certaines régions du pays aux armées des pays voisins aux visées manifestement impérialistes. La république des Conseils refusa la note de Vix et proclama la guerre pour libérer les mines et les régions productrices de vivres. Elle promit également la lutte «contre les boyards roumains» en invitant le prolétariat de Roumanie à constituer une alliance. Les dirigeants de la république des Conseils étaient fermement persuadés que le mouvement ouvrier révolutionnaire abolirait les frontières et créerait un Etat international uni dont la condition préalable aurait été «l’alliance fraternelle des travailleurs, la république fédérative». Un décret prescrivit que toutes les nationalités devaient constituer des conseils nationaux. Les Allemands et les Ruthènes reçurent le plein droit à l’autodétermination, et l’usage oral et écrit de toutes les langues était autorisé dans l’administration. La constitution établissait que «la république des Conseils est l’alliance libre des peuples libres».

Lorsque le gouvernement des Conseils prit le pouvoir, l’ensemble de la Transylvanie historique était déjà sous la domination de l’armée royale roumaine et du Conseil Dirigeant roumain de Nagyszeben. L’état actuel des recherches ne permet pas de savoir quel fut l’effet que la dictature prolétarienne exerça au-delà du Mont Bihar. On sait que, dès le début de décembre, l’influence des communistes s’y était renforcée, que des soldats roumains avaient désertés pour s’enrôler dans l’armée rouge hongroise et que plusieurs des futurs dirigeants ouvriers de Transylvanie avaient été soldats rouges. Il est également significatif qu’au début d’avril, les cheminots firent une grève générale. Dans les villes non encore occupées (Nagyvárad, Nagykároly, Szatmárnémeti) ainsi que dans plusieurs villages se constituèrent des directoires assurant l’administration et les organisations locales du nouveau parti. A Nagyvárad, plusieurs bataillons ouvriers furent, en une semaine, mis sur pied pour l’Armée Rouge.

La situation politique était toute autre dans les villages. Dans la majorité des communes roumaines, la fraction communiste roumaine de Nagyvárad ne sut pas amener un revirement de gauche bien qu’elle déployât une propagande importante, même dans la partie contrôlée par l’armée roumaine. Une partie considérable des 500 000 Roumains qui vivaient encore sous l’autorité hongroise éprouvaient de l’indifférence voire de la méfiance pour le pouvoir rouge, fréquemment incarné par les agitateurs urbains ou la présence de la Division Sicule.

Les puissances de l’Entente marquèrent, dès le début, une aversion profonde à l’égard de la république des Conseils qui s’acquit cependant, par ses attitudes déterminées, une autorité internationale plus importante que le {f-618.} régime de Károlyi. Le 24 mars, Béla Kun proposa, dans une note adressée aux grandes puissances, de régler la question des frontières sur la base de l’autodétermination réelle des peuples. La conférence de paix délégua le général Smuts à Budapest, qui proposa une ligne de démarcation plus favorable que celle de la note de Vix. Cette proposition ne livrait pas à l’armée roumaine les villes de Nagyvárad et de Szatmárnémeti, mais elle les soustrayait, en leur conférant la neutralité, à l’autorité de la république des Conseils. Dans sa contre-proposition, Kun demanda, en vertu de la convention de Belgrade, une solution plus favorable, et insista sur la convocation des représentants de la Hongrie et des pays voisins afin de traiter entre eux les questions des frontières ainsi que les futurs modes de coopération économique. Cependant, la politique française, plus agressive sur ce point l’emporta sur la politique anglo-saxonne qui était disposée à la négociation.

Le 15 avril, une importante offensive roumaine débuta tout le long de la ligne de démarcation hungaro-roumaine. Les Roumains portèrent un grand coup à la Division Sicule, disposée sur une zone de 130 kilomètres. (Lors de la proclamation de la dictature, elle constituait la seule unité efficace, à la fois suffisamment équipée et nombreuse, avec ses 12 000 soldats et 649 officiers). Il fallut rendre Szatmár, Nagyvárad, puis, le 23 avril, Debrecen. La Division Sicule se replia et essuya de grosses pertes, puis elle rompit ses rapports avec Budapest. Les chefs de la division convinrent, le 26 avril, avec une division de cavalerie roumaine de déposer les armes en acceptant même l’internement: en échange, l’armée roumaine libérerait leurs proches qui pourraient rentrer chez eux.

Le 27 avril, les Français occupèrent Makó et Hódmezővásárhely. Les troupes tchécoslovaques prirent contact avec les forces militaires roumaines. Le 30 avril, Béla Kun adressa un télégramme désespéré à Wilson, puis aux gouvernement de Tchécoslovaquie, de Yougoslavie et de Roumanie et reconnut, pour reprendre haleine, sans réserve «toutes les revendications territoriales et nationales» des pays voisins. Le Ier mai, l’armée roumaine atteignit la Tisza et rétablit partout, par des moyens très durs, l’ordre traditionnel de la société.

Le front se fixa alors sur la rivière Tisza. Quoique l’état-major roumain proposât à l’Entente de lancer de nouvelles offensives, il ne voulait cependant pas s’y risquer seul. La conférence de paix ne lui permit pas non plus d’avancer et la Russie soviétique, unique alliée de la république des Conseils, qui, afin de décharger la révolution hongroise, allait lancé une grande offensive sur le Dniester, contribua considérablement au raffermissement de la défense.

Le 30 mai, l’Armée Rouge hongroise lança l’offensive sur le front tchèque, en direction de Kassa. Sous l’effet des victoires des rouges, la conférence de paix sembla un temps disposée à inviter la Hongrie aux négociations de paix. Clémenceau notifia, le 13 juin, au gouvernement des Conseils les frontières définitives établies au mois de mars en promettant que les troupes roumaines seraient retirées de la Tisza dès que le gouvernement des Conseils aurait évacué les territoires du Nord-Est, récemment occupés. Dans sa note de réponse, Kun attira l’attention sur l’absurdité du tracé des lignes frontalières mais il ne refusa pas de les reconnaître. Les territoires du Nord furent évacués, mais les Roumains ne se retirèrent pas de la Tisza. Le gouvernement de Brătianu étant mécontent des nouvelles frontières puisqu’il recevait moins que ce qui avait été établi dans le traité secret de 1916. Pour délivrer la zone située à l’est de la Tisza, promise par Paris, l’Armée Rouge lança l’offensive le 20 juillet. Après les succès du début, elle fut contrainte de se retirer en raison de {f-619.} la prépondérance de l’ennemi. Le 30 juillet, l’armée roumaine traversa la Tisza et avança vers la capitale de la Hongrie. L’Armée Rouge une fois dissoute, le gouvernement révolutionnaire démissionna. La lutte pour la création d’une nouvelle société où les différends nationaux et les problèmes des frontières seraient relégués au second plan prit fin.

La contre-révolution et le traité de paix de Trianon

Le 4 août, l’armée roumaine entra à Budapest, malgré la désapprobation de l’Entente. Deux jours après, ayant renversé le gouvernement syndical de transition, un cabinet contre-révolutionnaire bourgeois se constitua, qui était sous la surveillance étroite du commandement roumain. Celui-là non plus, ne put se stabiliser et se constituer une force militaire autonome. Lorsque, à la suite de l’ultimatum de la conférence de paix, l’armée roumaine finit par évacuer, à la mi-novembre, Budapest et la région située entre le Danube et la Tisza, «l’armée nationale» de Horthy qui était au début insignifiante et placée sous les auspices des Français, put entrer à Budapest. Ce fut avec ce régime contre-révolutionnaire, hissé au pouvoir par l’Entente, que le traité de paix fut conclu.

La délégation hongroise de paix, arrivée à Paris en janvier 1920 sous la conduite du comte Albert Apponyi, fut invitée par les vainqueurs non pas à des négociations mais à la remise des conditions de paix déjà toutes prêtes. La conférence permit seulement à Apponyi de prononcer un discours sur la situation de la Hongrie et la position du gouvernement hongrois. Son exposé résuma tous les arguments apportés par la commission hongroise pour la préparation de la paix (sous la direction du comte Pál Teleki). Celle-ci chercha à persuader les puissances victorieuses que les frontières tracées ne correspondaient ni au droit à l’autodétermination nationale, ni au principe ethnique, qui d’ailleurs ne pouvait guère être appliqué équitablement dans le bassin des Carpates. La délégation avait insisté sur l’unité économique de l’ancienne Hongrie et l’interdépendance des diverses régions.

En ce qui concernait le problème de la Transylvanie, la délégation hongroise exposa plusieurs propositions selon lesquelles elle aurait pu être soit une province autonome à l’intérieur de la Hongrie, soit un Etat neutre indépendant à la manière de la Suisse. Les droits nationaux auraient été garantis par la formation de trois régions habitées par des ethnies dominantes et d’une quatrième région autonome de langue mixte. Pour terminer, la délégation hongroise demanda l’organisation d’un plébiscite en Transylvanie ainsi que dans les autres territoires litigieux en déclarant que «nous nous soumettons à l’avance au résultat du plébiscite, quel qu’il soit».*Discours d’Albert Apponyi à la conférence de paix le 16 janvier 1920, in: A magyar béketárgyalások. Jelentés a magyar békeküldöttség működéséről (Les négociations de paix hongroises. Rapport sur l’activité de la délégation de paix hongroise), I, Budapest, 1920, 278.

Toutes les propositions de la délégation hongroise furent rejetées. La lettre de Millerand notifiant le refus reconnut, du moins à mots couverts, certaines injustices du règlement ainsi que la fragilité de celui-ci, qui résidait dans le fait que le moindre changement pouvait rendre caduc le système tout entier.

La frontière hungaro-roumaine fut laissée là où l’avait tracée le compromis des grandes puissances. La Roumanie reçut un peu moins de ce qui lui avait été promis en 1916, mais plus que ce qu’avaient proposé les hommes politiques {f-621.} américains et italiens. Le 4 juin 1920, le traité de paix fut signé au château de Trianon. Une superficie de 102 200 kilomètres carrés (outre la Transylvanie historique, la périphérie de la Grande Plaine hongroise), soit 31,7 pour cent de l’ancien territoire de la Hongrie, et 5 257 476 habitants (dont 1 704 851 Hongrois et 559 824 Allemands), 25,2 pour cent de la population de l’ancien pays, passèrent à l’Etat roumain. Une période de l’histoire des peuples de Transylvanie prit alors fin.

 Tracées de frontière proposées et celles adoptées à la conférence de paix de Paris

{f-620.} Carte 24. Tracées de frontière proposées et celles adoptées à la conférence de paix de Paris

Le système de paix impérialiste qui portait aussi une grave atteinte à bien des intérêts nationaux, fut condamné non seulement par la bourgeoisie brûlant d’aspirations révisionnistes des pays perdants, mais également refusé par le mouvement communiste international qui, lui, mettait l’accent sur la révolution sociale.

En effet, lorsque les hommes politiques de l’Entente voulurent mettre en place un système plus moderne qui dépasserait les conditions anachroniques de la Monarchie des Habsbourg, ils créèrent, dans le bassin du Danube une tension plus grande que celle qui avait précédé la conflagration mondiale et livré les pays de la région, d’une manière plus absolue qu’auparavant, à la politique d’intérêt des grandes puissances. La Transylvanie, rattachée désormais à un autre Etat subit elle aussi les conséquences de cette nouvelle situation.

{f-568-569.}

102. Femmes hongroises «csángó» de Moldavie à la kermesse de Csíksomlyó

102. Femmes hongroises «csángó» de Moldavie à la kermesse de Csíksomlyó

103. Sicules se rendant au bal à Csíkmenaság

103. Sicules se rendant au bal à Csíkmenaság

104. En sortant de l’église à Magyarvalkó

104. En sortant de l’église à Magyarvalkó

105. Femmes habillées pour la fête à Torockószentgyörgy

105. Femmes habillées pour la fête à Torockószentgyörgy

106. Intérieur paysan hongrois avec table-coffre à Gyimesközéplok

106. Intérieur paysan hongrois avec table-coffre à Gyimesközéplok

107. Dans l’église de Oltszakadát

107. Dans l’église de Oltszakadát

108. Foulonnerie de bure à Parajd

108. Foulonnerie de bure à Parajd

109. Intérieur paysan hongrois à Torockó

109. Intérieur paysan hongrois à Torockó

110. Intérieur paysan roumain à Orlát

110. Intérieur paysan roumain à Orlát

111. Talmács, riche village de bergers roumains à l’entrée de la gorge de Vöröstorony

111. Talmács, riche village de bergers roumains à l’entrée de la gorge de Vöröstorony

112. Tenue de femmes roumaines des environs de Nagyszeben

112. Tenue de femmes roumaines des environs de Nagyszeben

113. Tenue de gala d’une Saxonne, avec boucle sur la poitrine

113. Tenue de gala d’une Saxonne, avec boucle sur la poitrine

{f-600-601.}

114. Train de réfugiés à Brassó, fin d’août 1916

114. Train de réfugiés à Brassó, fin d’août 1916

115. Brasserie détruite par l’artillerie près de Brassó

115. Brasserie détruite par l’artillerie près de Brassó

116. Butin de guerre: des canons roumains près de Brassó

116. Butin de guerre: des canons roumains près de Brassó

117. Des troupes allemandes à Brassó

117. Des troupes allemandes à Brassó

118. Charles IV visitant la compagnie de parade sicule

118. Charles IV visitant la compagnie de parade sicule

119. Guillaume II en visite à Nagyszeben en 1917

119. Guillaume II en visite à Nagyszeben en 1917

120. La proclamation de la république, 16 nov. 1918

120. La proclamation de la république, 16 nov. 1918

121. L’évêque uniate luliu Hossu fait la lecture de la résolution de l’assemblée roumaine de Gyulafehérvár du I

121. L’évêque uniate luliu Hossu fait la lecture de la résolution de l’assemblée roumaine de Gyulafehérvár du Ier déc. 1918 sur l’union de la Transylvanie avec la Roumanie

122. Georg Daniel Teutsch

122. Georg Daniel Teutsch

123. Béla Bartók. Photo prise à Gyergyószentmiklós

123. Béla Bartók. Photo prise à Gyergyószentmiklós

124. Octavian Goga

124. Octavian Goga

125. Endre Ady. Photo d’Emil Isac en automne 1918

125. Endre Ady. Photo d’Emil Isac en automne 1918